Sur cette affaire, chacun se fera une opinion en fonction des écrits
qui nous sont parvenus.
Dans
un premier temps, on notera l'extraordinaire assurance du saboteur.
Ce dernier a agi entre 9h50 et 10h15, soit en moins de vingt-cinq minutes,
dans une église et ses alentours qui étaient noirs de
monde.
L'escalier qui monte à la tribune est situé dans la tour
du midi et donne dans l'entrée Sud de l'église.
Cette dernière devait être traversée par un nombre
important de personnes entrant pour venir assister aux obsèques.
Là, quoi de plus normal que d'y croiser l'organiste paroissial
et de le voir ouvrir la porte pour monter à la tribune ?
Après avoir emprûnté l'escalier, le saboteur est
arrivé sur la tribune. Il était alors visible de toute
personne se trouvant dans la nef.
Si la majorité des personnes présentes était tournée
vers le choeur, d'autres se retournant pour scruter l'entrée
du cerceuil, voyaient la tribune.
Mais à nouveau, quoi de plus normal que d'y apercevoir l'organiste
paroissial y déambuler ?
Techniquement,
rendre l'orgue inopérant sur tous ses plans sonores, c'est-à-dire
le pédalier et les trois claviers, n'était pas très
compliqué.
A Luchon, les tuyaux étant répartis sur deux sommiers,
celui du Positif et celui du Grand-Corps, il suffisait tout simplement
de retirer un seul ressort de soupape dans chacun des deux sommiers.
Ainsi chaque sommier ayant une soupape ouverte en permanence faute de
ressort, le vent passait sans cesse de la laye dans la gravure.
Cela provoquait un cornement (émission permanente d'une note
sans appuyer sur une touche) dès que l'on tirait un registre.
L'abbé Duthil dit bien que "l'orgue cornait de
toutes parts", c'est donc que les deux sommiers avaient été
sabotés.
Le saboteur devait connaitre ce moyen simple et efficace et il devait
aussi connaitre la disposition des lieux pour agir très rapidement.
L'organiste paroissial connaissait parfaitement son instrument.
Mais le sabotage a-t-il seulement consisté en un retrait de ressorts
de soupape (facilement réparable) ou en quelque chose de beaucoup
plus grave,
nécessitant l'intervention d'un facteur d'orgue pour la réparation
?
Nous ne le savons pas mais cette deuxième solution semble être
à privilégier compte-tenu de ce qu'a écrit le curé
Lordat.
Dans
un deuxième temps, on remarquera que Gabriel Redonnet ne cherche
nullement à trouver une solution avec le curé face à
un orgue devenu inutlisable.
Que le curé supprime le service de l'orgue qui ne peut plus fonctionner
et en attendant une enquête, est naturel et normal.
Mais la charge d'organiste demeurait car elle pouvait s'exercer avec
l'harmonium de la tribune.
Gabriel Redonnet écarte de façon péremptoire ce
pis-aller.
Et s'indigne-t-il de ce sabotage qui le prive d'exercer son art ? Nullement
!
Il se présente en victime, donne immédiatement sa démission,
non seulement d'organiste mais aussi de chantre,
et n'omet pas de préciser le détail des sommes qui lui
sont dues.
Aucun organiste, aimant son instrument et son art, et victime d'un tel
sabotage, n'aurait agi ainsi.
Le
Conseil paroissial ne s'est pas laissé abuser. Lors de sa séance
extraordinaire du 4 juin, il s'est sans doute fait les mêmes reflexions.
Des témoignages sur la présence de l'organiste à
l'église et surtout à la tribune ont dû être
recueillis.
Le refus de toute enquête officielle montre bien que le Conseil
connaissait le responsable.
Le
contraste entre les formules de politesse résume bien la situation.
Au "Veuillez agréer, Monsieur le Doyen, l'expression
de mes respectueuses salutations." il est séchement
répondu : " Agréez Monsieur nos salutations".
qui fait suite à "... par pure condescendance"
.
Entre le Conseil paroissial et son ancien organiste, ce n'est pas une
simple rupture de contrat mais bien un véritable divorce.
Voici
le témoignage de Christian de Miègeville, Président
de l'association historique luchonnaise "Luchon d'Antan"
:
"
Le curé Lordat était un résistant et a travaillé
avec les communistes luchonnais.
Mais il n'est pas impossible que les quatre Radicaux-Socialistes - se
serait bien dans leur style anticlérical -
(Gabriel ROUY inspecteur honoraire des douanes, François SORS
hôtelier, Jacques VERDALLE instituteur et Bertrand REDONNET, dit
Poulou, des cars de tourisme)
conseillers municipaux d'opposition à Germès, qui furent
"démissionnés d'office" par Germès avec
l'aval de Pétain en 1940, y soient pour quelque chose.
Un début de revanche avant le 20 août 1944, jour où
les Allemands quittèrent Luchon,
et où la Résistance fit descendre les marches de la Mairie
quatre à quatre à l'équipe Germès dirigée
depuis peu par Rémy Comet ?
Le
Conseil Paroissial considéra que le responsable du sabotage était
Gabriel Redonnet, surnommé Jean de Pipo,
lequel
avait agi par dépit de se voir retirer l'honneur de jouer pour
un événement aussi important.
A la suite la démission
de Gabriel Redonnet, c'est Madame Gauran qui tiendra l'orgue pour les
offices ".
Entre
sa démission en juin 1944 et son décès en novembre
1958, soit pendant 14 années,
Gabriel Redonnet, souhaitant peut-être se "racheter",
se consacrera à une oeuvre apostolique dont nous n'avons pas
le détail.
Ce "rachat", sans doute jugé sincère, explique
pourquoi sa note manuscrite a été insérée
dans le registre des délibérations de la paroisse.
Mais le fait qu'elle ne soit accompagnée d'aucun commentaire
montre que rien n'avait été oublié.
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