Histoire
du Grand-Orgue Aristide Cavaillé-Coll
de l’église Notre-Dame de l’Assomption
de Bagnères-de-Luchon |
-
Aristide Cavaillé-Coll (1865)
- Restauration partielle par la Maison Danion-Gonzalez (1962)
- Restauration complète par Robert Chauvin (1990)
- Relevage par Charles Sarelot (2018)
|
Les visiteurs et
les organistes de passage dans l’église de Luchon sont
toujours surpris d’entendre
des sonorités romantiques sortir d’un buffet du XVIIIème
siècle !
En voici la raison....
La
commande du Conseil de Fabrique
Le 3 octobre 1869,
lors de la réunion du Conseil de Fabrique, le Trésorier,
Mr Mazens, " appelle
l'attention du Conseil sur le mauvais état où se trouve
l'orgue de l'église et sur les besoins qu'il aurait d'être
réparé.
(Il s'agit
de l'orgue vendu en 1855 par Vincent Cavaillé-Coll.)
Mr Colomic (Premier
Ajoint au Maire) fait observer qu'il faudrait mieux en acheter
un neuf
qui répondit aux besoins de l'époque, et fut en rapport
avec l'importance de l'édifice.
Le projet d'achèvement de l'église et de reconstruction
du clocher ne doit pas d'après lui empêcher l'achat de
cet instrument;
car se serait se faire illusion que de croire ce projet réalisable
dans un avenir peu éloigné.
Les revenus de la commune sont absorbés pour de longues années
et ne lui permettront pas de mettre la moindre
subvention à la disposition de la Fabrique.
Dès lors cette dernière se trouverait réduite à
ses seules ressources,
et dans l'impossibilité d'entreprendre un si grand travail.
Il n'y aurait que quelqu'événement imprévu, un
don par exemple, qui put en faciliter l'éxécution.
Mais faut-il dans cette expectative se priver indéfiniment de
l'acquisition d'un bel orgue,
lorsque celui qui existe ne peut plus fonctionner, et que toute la paroisse
en réclame le changement ?
La probabilité de l'achèvement de l'église ne saurait
y mettre obstacle attendu qu'il sera facile de l'enlever
au moment de la construction pour le replacer ensuite d'une manière
définitive.
Le Conseil reconnaissant la justesse de ces observations, et considérant
en outre que l'état de la caisse de la Fabrique
lui permet de consacrer une somme suffisante à cette acquisition,
décide qu'on s'adressera pour cela
à la maison Aristide Cavaillé-Coll de Paris qui occupe
le premier rang dans ce genre d'industrie,
se réservant de voter le chiffre de la dépense dès
que les conditions seront connues et agréées."
Le 17 décembre
1869, Aristide Cavaillé-Coll adresse deux devis au Conseil de
Fabrique.
Le premier pour un orgue de 10 jeux avec Bourdon de 16 pieds, à
2 claviers à mains de 54 notes et un pédalier de 20 notes
en tirasse, pour 13.200 francs.
Le second pour un orgue de 10 jeux avec Bourdon de 16 pieds et Basson
de 16 pieds, à 2 claviers à mains de 54 notes et un pédalier
en tirasse de 20 notes,
complètement enfermé dans une grande boîte expressive
servant de buffet, pour 11.000 francs.
|
Dessin
sur papier calque du buffet
accompagnant le premier devis
du 17 décembre 1869
Dessin
par L.
Guignet et A. Lallié,
dessinateurs industriels,
Médaillés de bronze
à l'Exposition Générale de Bordeaux
de 1859.
|
Ces deux instruments sont jugés par la Fabrique trop petits pour
remplir la grande nef.
Le 25 janvier 1870 une seconde proposition est faite par Cavaillé-Coll
pour un orgue de 24 jeux, deux claviers manuels de 56 notes dont un
expresssif et un pédalier indépendant de 30 notes.
La console
serait indépendante pour permettre à l'organiste de voir
directement l'autel.
Son prix serait de 30.000 francs auquel il faudrait ajouter celui du
buffet dont le coût dépendrait du du plan adopté.
Dans son courrier daté du 27 janvier, Cavaillé-Coll propose
3 plans de buffets qu'il note A, B et C.
Il précise que les plans B et C représentent un buffet
dont l'exécution serait du prix de 10.000 francs.
Le dessin A serait plus coûteux.
Le Conseil de Fabrique jugea la dépense de 40.000 francs trop
importante par rapport à son budget .
Le 14 février
1870, Aristide Cavaillé-Coll adresse un troisième projet
qui puisse satisfaire le Conseil.
Dans la lettre qui accompagne son devis et qui est adressée au
trésorier de la Fabrique, Cavaillé-Coll écrit :

|
" J'avais espéré que la Fabrique aurait
pu consacrer la somme de 30.000 Fr à l'instrument et que
le buffet (...)
aurait été estimé en plus
du prix de l'orgue.
Le projet de buffet que je vous ai envoyé
aurait coûté environ 10.000 Fr en sus du prix de l'instrument.
D'après les explications de votre lettre
je vois, Monsieur, qu'il faudra réduire toutes choses, instrument
et buffet,
pour arriver dans les limites du prix proposé.
Cela est regrettable, mais je vais néanmoins
m'occuper du nouveau projet que vous me demandez.
Si la fabrique ne tient pas absolument à mettre
son orgue d'accord avec le style architectural de l'église,
je pourrais lui proposer une bonne affaire.
J'ai en ce moment en magasin un ancien buffet style
Louis XIV en vieux chêne sculpté dans lequel nous avons
monté
un orgue neuf de 30 registres à trois claviers et
pédalier qui remplirait bien toutes les conditions de sonorité
désirables.
Cet orgue avec son buffet serait au prix de 35.000
Fr soit 30.000 Fr pour l'orgue et 5.000 Fr pour le buffet. (...)
Il y aurait donc là une économie réelle
pour la Fabrique et cet orgue étant tout prêt,
la Fabrique pourrait l'avoir aussitôt qu'elle
le voudrait. (...)" |
Le devis précise
en outre qu'au prix de l'orgue et du buffet il convient d'ajouter les
frais d'emballage, de transport et de pose,
qui représentent 10% du prix de l'instrument, soit 3.500 Fr.
En présentant cette troisième proposition
au Conseil de Fabrique, Mr Mazens, Trésorier, indique que :
" Cette proposition est vivement appuyée par une lettre
de Mr Tron, maire de Luchon et député,
actuellement à Paris, qui a vu et entendu ledit instrument.
Le Conseil considérant que les offres de Mr Cavaillé-Coll
sont avantageuses,
que la somme à payer ne dépasse pas les ressources de
la Fabrique qui y pourvoira par un emprûnt remboursable
en peu d'années; considérant surtout que l'instrument
proposé se trouve tout prêt,
et pourra être inauguré au commencement de la saison prochaine,
accepte la proposition et charge Mr Mazens, en sa qualité de
Trésorier,
de traiter avec Mr Cavaillé-Coll sur les bases susmentionnées.
Il
décide en outre qu'il sera fait une demande au Conseil municipal
pour le prier de se charger
de la construction de la tribune destinée à recevoir l'instrument."
Dans le courrier
qu'il adresse à Cavaillé-Coll, lequel a entre-temps fait
des efforts commerciaux pour obtenir le marché,
le Trésorier lui demande une nouvelle réduction de 500
Fr.
Dans sa lettre
datée du 17 Mars 1870 qui accompagne le contrat, Cavaillé-Coll
lui répond :

|
"Ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de le dire,
Monsieur, par ma précédente lettre, j'ai fait à
la fabrique de Luchon
une première concession des frais d'emballage et de pose
qui ne sont jamais en dessous de 10% du prix
de l'orgue, soit 3.500 Fr.
J'ai encore, sur la demande de Mr Ch. Tron et sur l'assurance
qu'il m'a donnée que mon frère (avec lequel
la fabrique avait traité de l'ancien orgue) avait promis
de le reprendre en compte lors d'une nouvelle acquisition,
donné une preuve de bonne volonté et de désintéressement
en consentant à reprendre cet orgue pour 2.500 Fr.
Je crois donc avoir fait toutes les concessions possibles et c'est
en toute sincérité que je profite de la liberté
que
vous voulez bien me laisser, Monsieur, de refuser ou d'accepter
la nouvelle réduction de 500 Fr que la fabrique
a cru pouvoir me demander.
Je puis vous assurer, Monsieur, que la reprise de l'ancien orgue
est pour moi une charge à laquelle
je ne m'attendais pas et, si la fabrique trouvait à se
défaire de cet orgue d'ici à l'époque où
le nouvel instrument
sera placé, je consens volontiers à lui abandonner
non seulement tout le bénéfice qu'elle en pourait
retirer au dessus
de 2.500 Fr mais encore à lui accorder la réduction
des 500 Fr que vous m'avez demandée".
|
Le
Trésorier de la fabrique se range à ces arguments et,
le 20 mars, signe à son tour le contrat.
Le 24 mars 1870,
dans sa délibération, le Conseil municipal accepte de
prendre à sa charge la construction
de la tribune destinée à recevoir l'orgue, suivant les
plans et le devis de 2.143,05 francs
présentés par J.-B. Castex, architecte de la Ville.
(Cette tribune sera démolie dans les années
1890, lors des travaux d'agrandissement de l'église).
Le
buffet et toute la partie instrumentale de l'orgue sont démontés
et placés dans des caisses.
Celles-ci sont acheminées à Luchon par le chemin de fer
Orléans-Midi en trois envois :
huit caisses le 6 avril, cinq caisses le 16 et neuf grandes caisses
le 28.
Monsieur Dussourd, ouvrier de la Maison Cavaillé-Coll, arrive
à Luchon le 25 avril pour démonter le vieil orgue.
Le mercredin 4 mai, c'est M. Eugène Scellier, chef-ouvrier, qui
arrive à Luchon
pour assurer la direction du montage de l'orgue et du buffet.
Le 8 juin arrive Charles Gigout qui est chargé de faire l'harmonie
de l'instrument.
Enfin, une dizaine de jours après, arrive Gabriel Reinbourg,
neveu de Cavaillé-Coll, pour prendre la direction des travaux.
En
1867 Gabriel Reinbourg (1834-1891), avait épousé
Berthe Cavaillé,
fille de Vincent Cavaillé-Coll.
Il fut un des harmonistes les plus fameux de la maison Cavaillé-Coll,
avec son frère Félix (1837-1897). |
 |
A
la recherche du premier titulaire...
On peut lire dans le registre des délibérations du Conseil
de Fabrique, à la date du 3 avril 1870 :
"Le Conseil
de Fabrique considérant qu'un orgue de cette importance, pourvu
d'un mécanisme perfectionné
et en rapport avec les exigences de l'art moderne, demande un artiste
habile qui sache en faire valoir
toutes les ressources, décide que la place d'organiste sera donné
au concours et que les appointements fixes
seront portés à 1.000 francs et le casuel garanti à
200 francs.
Il sera en outre fait appel à la Ville pour augmenter cette somme
d'une subvention municipale."
Extrait
de La Semaine Catholique de Toulouse du Dimanche 22 mai 1870
:
" La Fabrique
de Bagnères-de-Luchon ayant fait l'acquisition d'un orgue de
32 jeux, à 3 claviers à main et un pédalier,
sortant des ateliers de la maison A. Cavaillé-Coll de Paris,
désirerait trouver un bon organiste capable d'en faire ressortir
toute l'importance.
Dans ce but un concours sera ouvert à Toulouse le jeudi 2 juin
prochain, à midi précis, dans l'église métropolitaine.
La commission du jury sera composée de MM. Leybach organiste
de la Métropole,
Massis organiste de Saint-Sernin, Becquié organiste de Saint-Jérôme
et Kunc organiste du Gesu.
Les candidats peuvent se faire inscrire tous les jours, de midi à
une heure, chez Leybach rue Saint-Etienne
qui leur fera connaître du concours de l'admission.
Le traitement de l'organiste sera de 1500 francs assurés par
le Conseil de fabrique et la ville, et sa position pourra devenir
plus avantageuse par les ressources que lui offriront les habitants
et les étrangers pendant la saison thermale."
3 juillet
1870, registre des délibérations du Conseil de Fabrique
:
"Mr le
Curé rend compte au Conseil du concours pour la place d'organiste,
qui a eu lieu le 2 juin dernier
à la métropole de Toulouse, et auquel il assistait avec
Mr Mazens.
Le jury était composé de quatre orgnistes, savoir : Mr
Leybach organiste de la métropole, Président;
Mr Massis de Saint-Sernin; Mr Bacquié de Saint-Jérôme
et Mr Aloys Kunc du Jésus.
Sur 4 concurrents le choix s'est porté sur M. Louis Mourlan,
de Toulouse, qui a obtenu le n°1.
En conséquence de ce résultat, le Conseil de Fabrique
nomme Mr Mourlan à la place d'organiste
de l'église de Bagnères-de-Luchon et charge Mr le Curé
de lui notifier sa nommination.
Le Conseil vote en outre la somme de 250 francs pour honoraires dus
aux quatre membres du jury,
savoir : 100 francs à Mr Leybach et 50 francs à chacun
des trois autres."
L'inauguration
de l'orgue le Samedi 30 Juillet 1870
et sa réception le Lundi 1er Août.
"Monsieur
Mazens, Trésorier, fait un rapport duquel il résulte que
le 30 juillet dernier,
à 8 heures du soir, a eu lieu à l'église paroissiale
la séance solennelle d'inauguration de l'orgue,
en présence d'une nombreuse assistance d'étrangers
et d'habitants de Luchon.
Mr Leybach, organiste de la métropole de Toulouse, appelé
pour en opérer la réception, a rempli son mandat
de la manière la plus consciencieuse et la plus distinguée.
Il a montré dans cette séance tous les effets que peut
produire un instrument d'une grande puissance et d'une rare perfection
sous les doigts d'un artiste de premier mérite ;
et le surlendemain 1er Août il a procédé à
la vérification des travaux dans toutes leurs parties.
Son procès-verbal ci-annexé conclut à l'admission
avec les plus grands éloges.
La rétribution payée à l'entrée de l'église
et la quête du lendemain Dimanche ont produit la somme de 440,85
francs.
Par contre
plusieurs dépenses imprévues nécessitées
par les circonstances restent à régulariser.
Ce sont : 180 francs payés aux ouvriers de Mr Cavaillé-Coll,
à titre de gratification,
et 400 francs payés à Mr Lebach pour indemnités
de déplacement et honoraires.
Le Conseil vote ces deux sommes.
Mr le Trésorier
donne en outre lecture d'une lettre de Mr Cavaillé-Coll qui se
plaint de ce que les matériaux
de l'ancien orgue repris par lui pour la somme de 2.500 francs, sont
bien loin de valoir ce chiffre.
Il les estime à peine à 500 francs, ce qui représente
pour lui une perte réelle de 2.000 francs.
Il espère donc que le Conseil prendra en considération
une différence aussi grande entre la valeur réelle et
la valeur supposée,
et ne voudra pas qu'elle soit supportée par lui seul.
Le Conseil
reconnaissant que la démolition de l'ancien orgue n'a produit,
en effet, que des débris de boiserie tombant de vétusté,
et quelques tuyaux en étain qui ne pourront être utilisés
qu'en étant refondu; que l'estimation de 2.500 francs
avait été faite de bonne foi, et sans examen préalable
de Mr Cavaillé-Coll;
que dès lors la Fabrique ne peut profiter d'une erreur aussi
manifeste, et qu'il y a lieu d'indemniser le vendeur
d'une partie de sa perte alors surtout que son travail ne laisse rien
à désirer;
décide qu'une bonification de 1.000 francs sera faite à
Mr Cavaillé-Coll, et payée en deux annuités,
l'une de 500 francs le 31 août 1871, et l'autre de de 500 francs
le 31 août 1872.
Mr le Trésorier est autorisé à accepter au nom
de la Fabrique
les deux mandats tirés à cet effet par Mr Cavaillé.
De plus les
fonds de l'emprûnt étant réalisés et disponibles,
il est aussi autorisé à payer par anticipation
le solde de 10.000 francs qu'aux termes de la convention ne devaient
être payés que le 30 octobre.
Ainsi se trouve
définitivement réglé l'affaire de cet important
achat.
Le Conseil
vote en outre des remerciements et les éloges les plus mérités
à Mr Cavaillé-Coll,
qui a doté l'église de Luchon d'une oeuvre d'art remarquable
à tous les points de vue,
et digne de figurer au nombre de ses plus parfaites productions."

Procès-verbal de la réception du grand orgue
de l'église paroissiale de Bagnères-de-Luchon
Le 1er Août
1870 Mr Leybach, organiste de la Métropole de Toulouse,
sur l'invitation de Mr le Curé,
s'est rendu à l'église de Luchon avec Messieurs
les membres du Conseil de Fabrique,
Mr Mourlan, organiste titulaire, et Mr Castex, architecte de
la Ville,
à l'effet de procéder à la vérification
des travaux de l'orgue.
On a successivement
comparé toutes les parties de l'orgue aux conditions
indiquées dans le devis.
La soufflerie,
cette partie si importante de l'orgue, composée de six
grands réservoirs, munie de deux pompes
mises en action au moyen de deux pédales, alimente parfaitement
toutes les parties de l'instrument.
Le mécanisme
général de l'orgue, claviers à la main
et au pédalier, les abrégés, les leviers
en bois et en fer,
les pilotes tournants des registres et les pédales de
combinaisons sont établis en beaux matériaux
et fonctionnent avec une merveilleuse perfection.
On a ensuite
procédé à la vérification des différents
jeux, en suivant l'ordre indiqué au devis,
et en faisant entendre toutes les notes de chaque registre.
Dans cet examen nous avons remarqué la plus parfaite
homogénéité dans la mise en harmonie
et dans la bonne qualité des différents timbres
propre à chaque jeu.
L'accord de tous les jeux de l'orgue dans leurs détails
et dans leur ensemble
ne laisse absolument rien à désirer.
Le buffet sculpté
en bois de chêne est d'un effet splendide
et donne à cet orgue un cachet tout particulier.
En résumé
l'instrument se trouve sous tous les rapports dans l'état
le plus satisfaisant,
et nous nous empressons d'adresser à Mr A. Cavaillé-Coll
nos félicitations les plus sincères
pour l'exécution de ce travail aussi ingénieux
qu'artistique.
Bagnères-de-Luchon,
le 1er Août 1870. Signé : J.
Leybach
Ont aussi signé
: M.M. Fourtic, Curé, H. Ferras, Président, J.
Mazens, Trésorier, Gme Laffont, Fois Maurette,
Mérens aîné, L. Colomic, 1er Adjoint pour
le Maire absent, membres de la Fabrique,
L. Mourlan, organiste de l'église
de Luchon,
J.-B. Castex, architecte de la Ville.
|
Quelle est l'origine de l'orgue ?
Nous
savons, par Cavaillé-Coll lui-même, que l’instrument
installé à Luchon
était déjà construit et attendait preneur dans
ses ateliers de l’Avenue du Maine, à Paris.
La partie instrumentale a été construite en 1865 et placée
dans un buffet de récupération du XVIIIème siècle.
Cette originalité
d'un instrument symphonique dans un buffet classique a suscité
beaucoup de questions.
Quand cet instrument
a-t-il été construit ? Pour qui ?
Pourquoi était-il à nouveau en vente fin 1869 dans les
ateliers de l'Avenue du Maine ?
Pour tenter de répondre à ces questions, Jean Ferré,
titulaire de l'instrument de 1959 à 1980, avait fait l'hypothèse
suivante :
" En 1962, lors de la restauration, on s'est aperçu
en démontant les faux sommiers,
que ceux-ci étaient doublés par collage de papier journal
écrit en anglais.
Louis EUGENE-ROCHESSON qui effectuait le travail en sous-traitance pour
Danion, et qui devait avoir à cette époque près
de 70 ans,
se rappelait "qu'un Anglais original avait commandé un orgue
à Cavaillé-Coll et, quelques années plus tard,
lui avait demandé de l'échanger contre un orgue à
4 claviers ".
Cette histoire
d'un Anglais original est un peu étrange....
Peut-être Jean Ferré a-t-il confondu dans son souvenir
les histoires qu'adorait raconter Louis Eugêne-Rochesson, (1897-1972),
tant sur ses séjours en Angleterre dans les années 1952/1954
que sur l'extravagant Baron Albert de l'Espée
qu'il avait dû un peu connaître, comme apprenti chez Mutin,
avant 1914 ?
Aristide et Vincent
Cavaillé-Coll se sont séparés "en affaires"
entre 1850 et 1851,
Vincent gardant la clientèle du Sud de la France et du Nord de
l'Espagne, mais les deux frères restant en contact.
Aristide s'entend
avec Vincent pour que ce dernier propose le buffet Louis XIV aux Carmes
d'Avignon (aujourd'hui Saint-Symphorien)
puis à Saint-Joseph de Marseille en 1867. Sans succès.
Aristide propose ensuite le buffet pour l'église Notre-Dame d'Epernay
en Mai 1868. A nouveau sans succès.
Vincent Cavaillé-Coll s'était marié à Luchon
en 1845 avec Louise Aspasie Nadau et y avait sans doute gardé
des attaches.
Cela explique pourquoi c'est lui qui fournira en 1855, pour la somme
de 5.000 francs, un orgue pour la nouvelle église,
comme nous l'apprend la délibération du Conseil de Fabrique
du 6 janvier 1856.
Orgue modeste, peut-être d'occasion à l'époque,
mais surtout mal entretenu puisque devenu inutilisable treize ans plus
tard.
En 1869, c'est
vers Aristide Cavaillé-Coll, au sommet de sa gloire, que se tourne
le Conseil de Fabrique
qui a décidé de doter l'église d'un nouvel instrument.
Entretien
et accords
Un contrat
pour deux interventions par an, pour une durée de 10 ans
est signé avec les ateliers de Vincent Cavaillé-Coll le
1er janvier 1872.
Evolutions
et Restaurations
En 1912, l’orgue
fut nettoyé par la célèbre Maison Puget et il reçut
à cette époque son premier ventilateur électrique.
Très peu de foyers à Luchon avaient l'électricité
à cette époque.....et pour se rendre compte de cette "modernité"
rappelons que les orgues de Notre-Dame de Paris devront attendre 1924
pour recevoir leur ventilateur électrique !
Avant l'installation du ventilateur
électrique
l'air était apporté au réservoir principal
par la seule force physique.
Un homme se tenait debout sur le système alternatif,
au dos du grand buffet.
En pompant avec ses deux jambes, il actionnait deux soufflets
positionnés à droite et à gauche à
l'intérieur du meuble.
Ce système, restauré en 1992, est fonctionnel.
|
L'ancien ventilateur électrique
qui servit de 1912 à 1962. |
Jean-Baptiste
Puget installa également 12 basses de Basson pour le récit.
Son fils, Maurice Puget, intervint à nouveau en 1935 et 1942
et modifia notamment des jeux du positif expressif.
Une première
restauration, partielle, eut lieu en 1961-1963.
Elle fut initiée par Maurice Duruflé qui avait fréquenté
Bagnères-de-Luchon dans les années 1950.
Les travaux devaient comporter deux tranches mais une seule fut réalisée.
Sur recommandation de Maurice Duruflé, la restauration fut confiée
à la Maison Gonzalez dont le gérant était à
l'époque Georges Danion.
Les travaux à Luchon furent exécutés en sous-traitance
par le Maître
facteur d'orgue Louis Eugène-Rochesson,
assisté de Messieux Thiau et Schaller.
Une partie des désirs de Maurice Duruflé fut réalisée
par Georges Danion qui fit une console neuve
et transforma le positif expressif en positif de dos normal, sans boîte,
en enlevant les volets.
Cependant le facteur ne fit pas de boîte expressive pour le Récit,
le sommier de Cavaillé-Coll étant par jeux alternés
Bombarde et Grand-Orgue.
Danion effectua également quelques modifications dans la composition.
L'instrument restauré fut inauguré le mercredi 17 juillet
1963,
par Maurice Duruflé (1902-1986) et son
épouse Marie-Madeleine Duruflé-Chevalier (1921-1999).
Programme de l'inauguration de 1963

|

(c) Collection particulière,
89770 Chailley
|
En 1978 des contacts
furent pris avec le facteur d’orgues Bernard Chevrier pour établir
un nouveau devis.
Le devis présenté le 4 février 1979 ne fut pas
suivi d’effet.
Bernard Chevrier fut le premier facteur à penser rapprocher le
grand buffet de celui du positif.
Le Père Philippe Bachet, qui deviendra titulaire de la cathédrale
de Toulouse,
fut ensuite contacté mais s’opposa à un travail
qui continuait à dénaturer l’orgue de Cavaillé-Coll.
C’est ainsi que le facteur Robert Chauvin, de Dax, fut contacté
et proposa un devis en Mai 1985.
Il faudra cependant attendre 1990 pour qu’une seconde restauration
complète soit effectuée par Robert Chauvin,
restauration ayant pour but de revenir à l'orgue Cavaillé-Coll
d'origine, tout en réaménageant sa disposition.
Le grand buffet est alors avancé de 1 m 50 pour le rapprocher
du positif, l'ensemble retrouvant une harmonie visuelle.
Le concert d'inauguration
a été donné par Michel Bouvard, organiste, compositeur,
professeur au Conservatoire
de Toulouse et concertiste international, le samedi 25 avril 1992.
Après plusieurs
années de défaillances qui ne permettaient plus d'inviter
des organistes concertistes,
la Mairie décide enfin du relevage de l'instrument en décembre
2016.
Les travaux sont confiés à la Manufacture
Languedocienne de Grandes Orgues, sise à Lodève
dans l'Hérault.
Cette manufacture a été créée en Janvier
1980 par Georges Danion (1922-2005) et son épouse Annick Gonzalez,
petite-fille du célèbre facteur Victor Gonzalez (1877-1956).
Depuis 1998, l'entreprise est gérée par le facteur Charles-Emmanuel
Sarelot
qui y était entré en 1980 et qui en était le co-gérant
depuis 1990.
Les travaux débutent
à Luchon en mars 2017 par la dépose de tous les tuyaux
intérieurs.
L'étanchéité des sommiers et des chappes est refaite
en totalité, les postages sont tous remplacés,
ce qui nécessite le façonnage de plus de 80 mètres
de tuyau de plomb, l'ensemble des boiseries est passée
à l'huile de lin, certains tuyaux abimés sont décabossés.
Mi-juin 2018 tout est remis en place et l'orgue peut être utilisé
de façon officieuse, dans le cadre de tests.
La réception officielle de l'instrument a lieu en octobre 2018.
Premier volet du
renouveau de l'orgue de Luchon, la cérémonie solennelle
de bénédiction par l'Archevêque de Toulouse est
prévue le 4 Mai 2019.
Le second volet sera un Grand Concert organisé par Les Amis de
l'Orgue de Luchon,
en partenariat avec la paroisse de Luchon, concert donné par
Michel Bouvard et qui est prévu le 21 Juin 2019.
____________________________________
Grâce à
l'action de l'association Les Amis de l'Orgue de Luchon, créée
dans cet objectif en 2010,
l'orgue a été classé au titre des Monuments
Historiques en Décembre 2012.